mercredi 28 septembre 2016

Liberté, Egalité ?, Fraternité : parole à la cour de Cassation

Le contrôle au faciès devant la cour de cassation. Perdu en première instance, gagné partiellement en appel, le procès des 13 requérants contre l’Etat pour contrôle discriminatoire se retrouve, ce 4 octobre, devant la cour suprême. Me Slim Ben Achour, un des deux avocats qui ont monté les dossiers, nous donne les clefs pour comprendre les enjeux fondamentaux pour la société française de la décision qui va intervenir.

Qu’est-ce que la cour de cassation ?

Me Ben Achour : La cour de cassation est la cour suprême de l’ordre judiciaire. Pour notre dossier, il faut retenir que c’est la cour suprême. Elle a une fonction essentielle qui est d’unifier le droit sur l’ensemble du territoire français. 

Là en l’espèce, il n’y a qu’une décision concernant le contrôle au faciès, celle de la cour d’appel de Paris du 24 juin 2015. En allant devant la cour de cassation, on envoie un message à toutes les autres juridictions, notamment les cours d’appels de l’ensemble du territoire français sur la façon d’interpréter les dispositions relatives au contrôle d’identité.


Tribunal de première instance, cour d’appel et maintenant cassation, pourriez-vous rappeler au profane l’histoire du dossier ?

Me Ben Achour : Techniquement la cassation est un troisième niveau pour le dossier. Il y a eu une première instance devant le tribunal de grande instance de Paris. Nous avons été déboutés dans  l’ensemble de nos 13 dossiers. 

Nous avons fait appel, cela veut dire, en gros, qu’on « rejouait le match ». Il y a eu le match aller puis le match retour. L’image est d’ailleurs bonne puisque nous avons perdu le match aller et nous avons gagné le match retour, la décision du 24 juin 2015 où nous avons gagné 5 des 13 cas.

L’intérêt de se présenter devant  la cour de cassation est que la cour cette fois-ci ne va pas refaire le match. Elle ne va pas regarder le contenu des dossiers, ce qu’on appelle les faits, qui relèvent  du travail du juge de première instance et du juge d’appel. 

La cour de cassation ne s’intéresse qu’au droit. Elle va juger la décision de la cour d’appel sans regarder les dossiers des treize personnes. Elle va juste voir si la méthode retenue par les juges de la cour d’appel est conforme au droit.


Cinq dossiers gagnés sur 13 contre l’Etat c’était déjà historique. Pourquoi vous pourvoir en cassation au risque de tout perdre ?

Me Ben Achour : L’intérêt du dossier est qu’il dépasse en quelque sorte nos treize clients puisque ce qui est essentiel, ce sont les règles applicables aux contrôles d’identité et les possibilités de contester les contrôles opérés en raison du faciès dans le futur. 

La cour d’appel nous a donné raison sur cinq dossiers. Elle a retenu notre méthode mais à minima. C’est la raison pour laquelle, nous avons fait des pourvois en cassation sur les huit dossiers perdus.
 

L’Etat s’est lui-même pourvu en cassation pour les 5 dossiers qu’il a perdu en appel. Est-ce étonnant ?

Me Ben Achour : Sur les cinq dossiers que nous avons gagnés, assez étonnamment l’Etat a lui-même fait un pourvoi en cassation. 

Pourquoi étonnamment ? Parce que grâce à ces cinq décisions gagnées on satisfaisait quelque part l’engagement numéro 30 du candidat Hollande qui était de mettre un terme aux contrôles au faciès. 

Il aurait pu utiliser politiquement la décision de la cour d’appel pour dire aux syndicats de police et aux policiers qu’il faut avancer un peu sur le thème. Cette opportunité n’a pas été saisie.
 

Pourquoi prendre le risque de la cassation ?

Me Ben Achour : Beaucoup de personnes nous conseillaient de ne pas faire de pourvoi en cassation. Mais l’enjeu du contrôle au faciès a un sens bien particulier dans la France d’aujourd’hui, et il nous apparaissait bien évident de saisir la cour suprême pour qu’elle dise, solennellement, le droit. 

Surtout que nous avons été quand même encouragés par la Cour d’appel avec cinq décisions positives.
Pourquoi faire un pourvoi en cassation ? Parce que les décisions de la Cour de cassation servent de guides à l’ensemble des juges de première instance et d’appel en France. 

Le premier réflexe des avocats mais surtout des juges sur les points sur lesquels ils sont saisis c’est de regarder la jurisprudence de la Cour de cassation. 
 

Que signifierait une victoire pour vous en cassation ?

Me Ben Achour : Cela signifierait que la cour de cassation nous donne raison sur la méthode. La méthode c’est quoi ? C’est essentiellement deux choses :
  • les contrôles d’identité doivent respecter les règles d’égalité et de non-discrimination. A ce jour, l’Etat dit quelque chose d’absolument aberrant  et politiquement catastrophique : les contrôles d’identité n’ont pas à respecter ces règles. Ces règles vaudraient pour tous mais pas pour la police. Ce qui n’est pas possible. Inutile de convoquer l’histoire, notre conscience collective pour savoir que cet argument est fou. L’Etat a perdu manifestement ses repères. Nous allons gagner devant la Cour de cassation sur ce point-là. A défaut, il faudra se demander dans quel régime nous vivons.
  • Il y a un deuxième enjeu : qui doit prouver le contrôle et sa façon de le réaliser ? La police ou le citoyen ? Nous sommes dans une question de charge de la preuve, ce qui est fondamental dans un procès. Si la Cour de cassation dit que la charge de la preuve incombe au citoyen autant dire que cette règle, dans les faits, serait catastrophique. Difficile tout d’abord de prouver le contrôle puisque la police ne remet pas de récépissé du contrôle et n’en garde pas la preuve. Ensuite il faudrait prouver que le contrôle est discriminatoire et qu’il constitue une faute lourde de la part de l’Etat.
 
Et quelle est votre position ?

Me Ben Achour : Pour nous le principe est bien évidemment que l’Etat doit respecter les règles de l’Etat de droit. Et comme le contrôle d’identité ou la pratique du contrôle d’identité est attentatoire à plusieurs principes, notamment à la liberté d’aller et venir, c’est à l’Etat de justifier des raisons pour lesquelles il y a un contrôle d’identité qui ne fera pas l’objet de suites. Ce n’est pas la position de l’Etat.
 

D’après la position de l’Etat que faudrait-il concrètement comme preuves à une personne pour intenter une action en justice pour contrôle discriminatoire ?

Me Ben Achour : L’hypothèse dans laquelle un citoyen ou un résident prouverait un contrôle discriminatoire relèverait pratiquement d’une situation extraordinaire puisqu’il faudrait que la personne ait, par exemple, un notaire à ses côtés ou des caméras de télévision, qu’il y ait des témoins, des témoins qui acceptent de témoigner. 

On sait en général que dans la pratique du contrôle d’identité si vous avez des citoyens responsables qui entreprennent les policiers et leur demandent les raisons pour lesquelles des personnes sont contrôlées, il leur est demandé de circuler. 

A défaut, ils risquent  d’être renvoyés, ainsi que la personne qui est contrôlée, en outrage devant le tribunal correctionnel. Dans ces circonstances, on voit bien le cynisme de l’Etat et son peu de cas des libertés et droits fondamentaux des citoyens.

Il souhaite que le citoyen prouve les dysfonctionnement de certaines pratiques policières Dans la vraie vie, à de très rares exceptions près, ce n’est pas possible de prouver le contrôle abusif, a fortiori s’il est discriminatoire.


Qu’est-ce qui est finalement au cœur du débat ?

Me Ben Achour : Le débat de fond est assez essentiel. Ce qui est au cœur du débat c’est l’identité de la France. Est-ce que la France est une République d’égaux ou une République ethnique, raciste ? 

Si les juges disaient, et je n’y crois pas, que les règles d’égalité et de non-discrimination ne s’appliquent pas au contrôle d’identité, cela reviendrait à donner un blanc-seing à la police. 

Ce serait une validation de la pratique du contrôle au faciès, c’est-à-dire une politique de ségrégation, une politique de séparation dans l’espace public, et de stigmatisation des personnes. Voilà l’enjeu essentiel. Un enjeu qui dépasse les treize personnes qui ont saisi la justice il y a maintenant 4 ans.
 

Le Défenseur Des Droits a joué un rôle important en appel. Quelle est finalement la valeur de sa parole ?

Me Ben Achour : Je pense que la portée de sa parole a été très significative. Pour mémoire, le Défenseur Des Droits est intervenu auprès de la Cour d’appel en lui remettant un avis. Un avis appelé «  amicus curiae» (littéralement « Ami de la Cour », ndlr). 

C’est une analyse juridique de la situation pour aider le juge à décider. L’aide qu’il lui proposait correspondait à l’argumentaire qu’on développait depuis 2011. Donc son intervention  a été une étape importante de légitimation de l’argumentaire des treize citoyens devant le juge. 

Je pense que c’est l’un des éléments qui nous a amené à avoir des décisions positives. C’était la première partie de la fusée. 

La deuxième c’est la décision de la Cour d’appel qui suit, pas totalement mais en partie, l’avis juridique du Défenseur Des Droits. Ces deux décisions, l’avis du Défenseur Des Droits et la décision de la Cour d’appel nous placent dans une situation avantageuse devant la Cour de cassation. 

Et tout récemment nous avons eu des signaux plutôt « verts » en provenance de la Cour de cassation. En vue de l’audience du 4 octobre les juges qui vont siéger ont désigné un juge rapporteur pour préparer un petit peu le dossier. 

Ce dernier valide les deux points qui nous sont chers : l’applicabilité des règles de non-discrimination et l’aménagement de la charge de la preuve. Ce n’est pas un pré jugement, mais c’est une indication de ce que pense le juge qui est amené à préparer l’audience.
 

Êtes-vous confiant pour l’audience du 4 octobre ?

Me Ben Achour : Nous avons un avis du Défenseur des Droits, la décision de la cour d’appel, le rapport du juge rapporteur à la Cour de cassation et l’avocat général à la cour de cassation qui reprennent l’argumentaire développé par les treize citoyens depuis maintenant 4 ans. 

Nous allons donc nous retrouver devant une juridiction où l’Etat est aujourd’hui isolé dans son argumentaire. Donc oui nous sommes confiants. Nous le devons.
 

Qu’attendez-vous des juges ?

Me Ben Achour : Ce que nous attendons des juges c’est qu’ils appliquent la loi. Du fait des rapports de domination dans la société française, il est toujours difficile, voire transgressif, d’appliquer la loi surtout au bénéfice de personnes vulnérables qu’on considère comme « autres ». 

L’enjeu qui va être traité par la Cour de cassation n’est pas sans liens d’autres combats menés par le passé, notamment le combat de l’égalité entre les sexes. Il a fallu de très nombreuses années pour que les règles de l’égalité posées par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 s’appliquent aux femmes. 

On espère que la décision qui suivra l’audience du 4 octobre contribuera à dire que, quelle que soit l’origine des Français, les contrôles d’identité doivent s’opérer de façon non discriminatoire.  Ça vaut la peine de se battre, n’est-ce pas ?

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