La 1ère chambre civile de la cour de
cassation examine le 4 octobre prochain les pourvois de l'Etat et des
plaignants, suite à la condamnation en appel de l'Etat dans 5 des 13
dossiers instruits pour contrôles d'identité discriminatoires.
Mathilde Zylberberg, secrétaire nationale du syndicat de la magistrature, revient sur la portée de cette action et sur ce
qu'elle en attend.
Qu'est-ce que la cour de cassation ?
Mathilde Zylberberg :
La cour de cassation juge le droit et non le fait. Elle vérifie si
dans leurs décisions les tribunaux de première instance et les
de cours d'appel ont appliqué correctement le droit.
Elle est
au-dessus des autres cours, c'est-à-dire qu'elle peut casser ou
rejeter les pourvois contre les arrêts des autres cours. Mais
contrairement à d'autres systèmes, il n'existe pas d'arrêt de
règlement.
Il n'y a donc pas d'obligation pour les juges, dits du
fond (de première instance ou d’appel, ndlr), de s'aligner sur la
jurisprudence de la cours de cassation. S'il peut y avoir des arrêts
de rébellion de la part des autres cours, la cassation a
cependant une autorité jurisprudentielle. En général les
juges du fond s'alignent sur cette jurisprudence.
Que signifierait un rejet du pourvoi
de l'Etat par la cour de cassation ?
Mathilde Zylberberg :
Cela signifierait que les arrêts de la cour d'appel attaqués
par l'Etat seront appliqués et que l'Etat sera définitivement
condamné.
Les victimes de contrôles d'identité discriminatoires
pourront alors invoquer cette jurisprudence condamnant l'Etat selon
une motivation validée par la cour de cassation.
Il demeurera
toutefois un problème de preuve dans les actions intentées en
justice et il faudra prouver, dans les faits, la discrimination.
Mais
il reste que l'aménagement de la charge de la preuve effectué par
la cour d'appel pourra être utilisé de façon sécurisée, parce
que sans risque d'être cassé par la cour de cassation.
Si l'Etat perd, a-t-il un ultime
recours pour invalider les décisions de la cour d'appel ?
Mathilde Zylberberg :
L’instance sera terminée. Il pourra invoquer dans les
procédures à venir de nouveaux arguments de droit et de fait pour
contrer cette jurisprudence
Et si l'Etat gagne en cassation ?
Mathilde Zylberberg :
Même si la cour de cassation ne suit pas la cour d'appel, les
juridictions de fond pourront, là aussi, se rebeller, ce qui
pourrait d’ailleurs conduire à un revirement de jurisprudence de
la cour de cassation.
En tout cas, rien n'empêchera d'autres
citoyens de saisir les tribunaux sur ces questions.
Un rejet de l'Etat en cassation
serait-il une décision de justice historique ?
Mathilde Zylberberg :
Ce serait une jurisprudence importante. Il y a un certain nombre
de domaines où la jurisprudence a précédé la réforme
législative.
Ce sera ici un signe clair qu'il est désormais temps
de passer à l'acte et donc de réformer le cadre légal du contrôle
d'identité et d'imposer l'obligation de délivrer un récépissé à
l'issue de chaque contrôle opéré.
En ce sens, ça sera historique,
mais ça ne sera malheureusement pas suffisant.
Vous parlez de la réforme de
l'article 78-2
du code de procédure pénal. Qu'attendez-vous exactement en matière
de réforme ?
Mathilde Zylberberg :
Aujourd'hui le contrôle au faciès est rendu possible par le
fondement légal. Celui-ci est défini
de manière trop généraliste.
Le
premier alinéa de l'article 78-2
fixe un cadre admissible, dirons-nous, car plus contraignant, au
contrôle d'identité : le contrôle
doit en lien direct avec la commission
ou la préparation d'une infraction.
Les autres cas de contrôle
n’imposent pas de réunir préalablement des raisons objectives et
individualisées au contrôle. Donc les raisons pour lesquelles le
policier ou le gendarme va procéder au contrôle d'identité ne
peuvent être que subjectives.
Il y a dès lors un risque de
discrimination et donc de contrôle au faciès. Ce que nous disons
c'est qu'il faut supprimer tous les cas où il n'y a pas de raisons
objectives et individualisée, en lien avec la commission ou la
préparation d’une infraction déterminée, de contrôler une
personne.
Pour vous la loi est trop floue ?
Mathilde Zylberberg : Oui.
Vous avez par exemple la possibilité à l'alinéa 3* de contrôler
toute personne, quel que soit son
comportement, pour prévenir une
atteinte à l’ordre public.
Mais qu’est ce qu’une atteinte à
l’ordre public ? C’est un concept très flou et fourre-tout.
Cela veut dire les forces de l’ordre peuvent contrôler n’importe
qui, sans avoir à justifier d’élément objectif.
Vous souhaitez que l’article 78.2
soit modifié mais aussi l’obligation de remise d’un récépissé
en cas de contrôle. Pourquoi ?
Mathilde Zylberberg :
Nous espérons, en effet, que le rejet du pourvoi de l’Etat
conduise le législateur à modifier l’article 78.2 et aussi à
exiger la remise d’un récépissé.
C’est
indispensable en matière de preuve, pour celui qui le subit et mais
aussi pour objectiver le contrôle Comment démontrer qu'on a été
contrôlé 4 ou 5 fois s'il n'y a aucun élément permettant de le
prouver ?
L’appel à introduire un tel dispositif est
d’ailleurs implicite dans la décision de la Cour d’appel de
Paris.
Peut-on d’ailleurs à ce propos
parler de « contrôle d’identité » quand des mêmes
policiers contrôlent une même personne plusieurs par jour ou par
mois ?
Mathilde Zylberberg :
Les gens qui sont victimes de contrôle au faciès vous le
disent : les policiers les interpellent par leur prénom pour
procéder au contrôle d’identité.
Quand vous êtes contrôlés 3
ou 4 fois par jour, les policiers du quartier savent exactement qui
vous êtes. Ça n’est pas un contrôle d’identité. Et c’est ça
qui est très dur à vivre pour les personnes concernées.
Dans un contexte actuel d’état
d’urgence, le contrôle au faciès est-il toujours une question de
premier plan ?
Mathilde Zylberberg :
Je dirais encore plus. Le contrôle d’identité discriminatoire
appartient à une catégorie de procédures à risques
discriminatoires.
Et justement, avec la loi sur l’état d’urgence
et les différentes lois qui sont prises dans ce contexte, les
procédures à risque discriminatoires prennent de plus en plus de
place.
C’est-à-dire les procédures où les définitions sont
floues, imprécises et qui permettent, en l’absence d’éléments
objectifs, d’attenter aux libertés de nos concitoyens.
Les
possibilités de contrôle d’identité et de fouilles ont
d’ailleurs été étendues sous l’état d’urgence, en confiant
aux préfets le pouvoir de déterminer que, pendant une durée de 24
heures, sur un territoire qu’il définit, toute personne pourra
être contrôlée et fouillée, sans nécessité d’objectiver le
motif du contrôle.
*« L'identité
de toute personne, quel que soit son comportement, peut également
être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa,
pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la
sécurité des personnes ou des biens ».
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