lundi 14 novembre 2016

La décision en cassation: synthèse et revue de presse nationale

Nous vous proposons une vision globale et synthétique de la décision de justice en cassation où l'Etat a été condamné pour 3 des 5 cas étudiés, le 9 novembre 2016 à Paris, pour contrôles d'identité abusifs et discriminatoires. 

Retour sur l'histoire d'une décision historique et revue de presse nationale.

L’affaire a commencé en 2013, lorsque treize hommes d’origine africaine ou nord-africaine ont attaqué l’Etat, dénonçant des contrôles abusifs, parfois associés à des palpations, des insultes ou du tutoiement.
Après avoir perdu en première instance en octobre 2013, les plaignants ont fait appel, soutenus cette fois par le Défenseur des droits Jacques Toubon. En juin 2015, la cour d’appel de Paris a donné raison à cinq d’entre eux, condamnant l’État à verser 1.500 euros de dommages et intérêts à chacun.
Une demi-victoire qui n’a satisfait aucun des deux camps : l’État s’est pourvu en cassation pour les cinq dossiers dans lesquels il a été condamné, et les huit hommes qui n’ont pas obtenu gain de cause en ont fait autant.
Le 4 octobre, la juridiction suprême s’est donc à son tour penchée sur l’affaire en examinant si, lors des décisions en appel, les règles de droit ont été correctement appliquées, notamment la question de la charge de la preuve.
Le 9 novembre, la décision a été rendue.



I/ L’AUDIENCE DU 4 OCTOBRE

L’avocat des demandeurs : Me Thomas Lyon-Caen, au nom des huit hommes déboutés en appel, a rappelé que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, il ne revient pas à la personne qui dénonce une discrimination d’en apporter la preuve complète mais seulement un « commencement de preuve ». Sans trace de ce contrôle --les associations réclament l’instauration d’un récépissé-- comment prouver d’ailleurs que celui-ci a bien eu lieu ?
C’est ensuite à la partie mise en cause d’apporter des « éléments ou des faits objectifs » prouvant qu’il n’y a pas eu discrimination.

L’avocate générale, Nathalie Ancel, a estimé que trois des huit jugements dans lesquels l’État a obtenu gain de cause en appel devaient être cassés. Pour les cinq autres, elle a considéré que l’État apportait bien des « éléments objectifs » motivant le contrôle, comme par exemple la « dangerosité de la zone»  où celui-ci s’est produit. Et qu’il n’y avait donc pas lieu de revenir sur la décision de la cour d’appel. L’avocate générale a par ailleurs demandé que soit confirmée la condamnation de l’État dans les cinq dossiers où il a perdu.

L’avocate de l’Etat, Alice Meier a avancé que dans chacun des treize cas, « les règles légales encadrant ces contrôles » avaient été « parfaitement respectées ». Et de faire valoir qu’il revenait à la personne contrôlée d’apporter des « éléments concrets, circonstanciés » prouvant que la motivation raciale était la seule motivation du contrôle. Alors que les opposants au contrôle « au faciès » attendent une décision « historique », Me Meier a mis en garde les magistrats contre la tentation de « prendre une position de principe » . « Il ne faut pas que la décision ait pour conséquence de jeter sur tout policier, voire tout représentant de l’État, une suspicion », a-t-elle prévenu.



II/ LA DECISION DU 9 NOVEMBRE

La Cour de cassation valide le raisonnement des juges d’appel, estimant qu’un contrôle d’identité qui a pour seule base des caractéristiques physiques liées à une origine réelle ou supposée constitue une discrimination. Dans ce cas, la responsabilité de l’Etat est engagée.

Dans sa décision, la Cour de cassation précise la méthodologie pour déterminer si un contrôle est abusif ou non. Une personne qui saisit la justice doit apporter des éléments « qui laissent présumer l’existence d’une discrimination ». C’est ensuite à l’administration de démontrer, soit une absence de discrimination, soit une différence de traitement « justifiée par des éléments objectifs », comme la correspondance au signalement d’un suspect recherché. Il revient in fine au juge de trancher, en fonction de la situation.

La condamnation de l’Etat est confirmée pour l’instant dans trois des cinq cas retenus par la cour d’appel. Les deux autres condamnations seront rejugées. Dans un cas, le dossier a été cassé pour vice de forme, mais son caractère discriminatoire devrait être confirmé sans difficulté en appel. Pour l’autre, le juge aura à procéder à un nouvel examen des « éléments objectifs », pour déterminer si le contrôle était effectivement discriminatoire.

Communiqué de la Cour :


III/ LES REACTIONS

Le Défenseur des droits
Salue l’avancée du droit en faveur de la protection des citoyens contre les discriminations lors des contrôles d’identité
Jacques Toubon, qui avait soutenu la procédure en appel et en cassation, la décision de la Cour est “une avancée majeure pour la garantie des droits des citoyens”.


SOS Racisme
Se félicite de la décision de la Cour de cassation
« La confirmation de la condamnation de l’Etat doit entraîner de la part du Gouvernement une réaction positive via la mise en place du ticket de contrôle que nous réclamons depuis plusieurs années. Il ne serait pas admissible, face à une pratique reconnue et condamnée par la justice, de laisser les choses filer. La police et la gendarmerie – et plus largement tous les corps agissant au nom de l’Etat – ont un devoir d’exemplarité et de justice dans leurs activités. Les populations qui subissent ces contrôles au faciés n’ont pas à être les victimes du malaise actuel au sein des forces de l’ordre. L’Etat doit prendre ses responsabilités, seule attitude en mesure d’ailleurs de renouer des liens apaisés entre les forces de l’ordre et une partie substantielle de la population, bien loin des manipulations de l’extrême-droite dans les mouvements d’humeur en cours. »

Syndicat de la Magistrature
Contrôles au faciès : de la légèreté coupable à la faute lourde !

Alliance Police
En colère après la condamnation de l'Etat

Stop le contrôle au faciès
« La prochaine étape sera de veiller à l'application effective de cette décision de justice, dans l'évolution des pratiques policières et l'amélioration des rapports police/population ». « On a déjà fait bouger les lignes », «ça montre qu'on peut aussi gagner face à l'Etat».

Christiane Taubira
Je trouve très bien que des personnes qui considèrent, et manifestement à bon droit, qu’elles ont été victimes de contrôles injustifiés, se soient référées à la justice et au droit“, a affirmé au Bondy Blog ce mercredi soir Christiane Taubira, l’ancienne ministre de la Justice. Elle s’était opposée au pourvoi en cassation de l’Etat après la décision en appel, finalement décidé par le premier ministre Manuel Valls. J’aurais préféré l’instauration du récépissé. Je me suis battue pour cela pendant des années, même lorsque que j’ai été Garde des Sceaux, y compris lorsque le gouvernement avait décidé de ne pas mettre en place le récépissé. Disons tout de même que le gouvernement avait pris certaines dispositions puisqu’il y a eu l’instauration d’un code de déontologie. Mais je pense pour ma part que cela ne remplace pas le récépissé. Je ne m’en suis jamais cachée.  Puisque le gouvernement ne l’avait pas fait je trouve ça très bien que les personnes se réfèrent au droit. Nous sommes dans une démocratie. Il faut savoir faire confiance à la justice.  C’est une belle démarche”.

Le scepticisme de Révolution Permanente
Scepticisme.



IV/ LES IMPLICATIONS

L’Etat définitivement condamné pour des contrôles au faciès

Une défaite symbolique pour Manuel Valls. Après la condamnation de l’Etat par la cour d’appel l’an passé, la décision d’un pourvoi en cassation avait donné lieu à un arbitrage entre Manuel Valls qui y était favorable et Christiane Taubira, la garde des Sceaux à l’époque, farouchement opposée. C’est Matignon qui l’avait emporté. Cet arrêt inflige donc une importante défaite symbolique au Premier ministre.

La police devra changer ses pratiques

Permettre la traçabilité des contrôles
Pour Maitre Félix de Belloy, il s’agit désormais de faire respecter les nouvelles règles. “La prochaine étape, c’est permettre une meilleure traçabilité des contrôles et c’est aussi au pouvoir législatif de le faire”. 
Après la condamnation historique de l'État, exigeons le récépissé des contrôles au faciès disent les lanceurs d'une pétition : Quoi (hashtag) ma gueule. 

Saisir la Cour européenne des droits de l’homme
Plaignants et avocats évoquent déjà la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.




V/ LA DECISION DU 9 NOVEMBRE EN 5 ARTICLES

La décision du 9 novembre a été largement relayée dans les médias français, y compris dans des médias moins impliqués sur ces questions (ex : Paris Match, Konbini), et dans les médias internationaux (El Pays). L’étude d’OSJI a une nouvelle fois servi de référence. On remarque également la présence médiatique toujours aussi forte de Stop le contrôle au faciès.


9/11/2016
L’article de Libération

09/11/2016
L’article du Monde

14/11/2016
L’Humanité réexamine la procédure des contrôles d’identité

16/11/2016
Contrôle au faciès, symptôme de la crise identitaire ?

19/11/2016
La policía francesa te pedirá papeles si eres árabe y negro




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