
L’affaire a commencé en 2013, lorsque
treize hommes d’origine africaine ou nord-africaine ont attaqué l’Etat,
dénonçant des contrôles abusifs, parfois associés à des palpations, des
insultes ou du tutoiement.
Après avoir perdu en première instance
en octobre 2013, les plaignants ont fait appel, soutenus cette fois par le
Défenseur des droits Jacques Toubon. En juin 2015, la cour d’appel de Paris a
donné raison à cinq d’entre eux, condamnant l’État à verser 1.500 euros de
dommages et intérêts à chacun.
Une demi-victoire qui n’a satisfait
aucun des deux camps : l’État s’est pourvu en cassation pour les cinq dossiers
dans lesquels il a été condamné, et les huit hommes qui n’ont pas obtenu gain
de cause en ont fait autant.
Le 4 octobre, la juridiction
suprême s’est donc à son tour penchée sur l’affaire en examinant si, lors des
décisions en appel, les règles de droit ont été correctement appliquées,
notamment la question de la charge de la preuve.
Le 9 novembre, la décision a été
rendue.
I/ L’AUDIENCE DU 4 OCTOBRE
L’avocat des
demandeurs : Me Thomas Lyon-Caen, au nom des huit hommes déboutés en appel,
a rappelé que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme, il ne revient pas à la personne qui dénonce une discrimination d’en
apporter la preuve complète mais seulement un « commencement de preuve ». Sans
trace de ce contrôle --les associations réclament l’instauration d’un
récépissé-- comment prouver d’ailleurs que celui-ci a bien eu lieu ?
C’est ensuite à la partie mise en cause d’apporter des « éléments
ou des faits objectifs » prouvant qu’il n’y a pas eu discrimination.
L’avocate générale,
Nathalie Ancel, a estimé que trois des huit jugements dans lesquels l’État a
obtenu gain de cause en appel devaient être cassés. Pour les cinq autres, elle
a considéré que l’État apportait bien des « éléments objectifs » motivant le
contrôle, comme par exemple la « dangerosité de la zone» où celui-ci s’est produit. Et qu’il n’y avait
donc pas lieu de revenir sur la décision de la cour d’appel. L’avocate générale
a par ailleurs demandé que soit confirmée la condamnation de l’État dans les
cinq dossiers où il a perdu.
L’avocate de l’Etat,
Alice Meier a avancé que dans chacun des treize cas, « les règles légales
encadrant ces contrôles » avaient été « parfaitement respectées ». Et de faire
valoir qu’il revenait à la personne contrôlée d’apporter des « éléments
concrets, circonstanciés » prouvant que la motivation raciale était la seule
motivation du contrôle. Alors que les opposants au contrôle « au faciès »
attendent une décision « historique », Me Meier a mis en garde les magistrats
contre la tentation de « prendre une position de principe » . « Il ne faut pas
que la décision ait pour conséquence de jeter sur tout policier, voire tout
représentant de l’État, une suspicion », a-t-elle prévenu.
II/ LA DECISION DU 9 NOVEMBRE
La Cour de cassation
valide le raisonnement des juges d’appel, estimant qu’un contrôle d’identité
qui a pour seule base des caractéristiques physiques liées à une origine réelle
ou supposée constitue une discrimination. Dans ce cas, la responsabilité de
l’Etat est engagée.
Dans sa décision, la
Cour de cassation précise la méthodologie pour déterminer si un contrôle est
abusif ou non. Une personne qui saisit la justice doit apporter des
éléments « qui laissent présumer l’existence d’une discrimination ». C’est
ensuite à l’administration de démontrer, soit une absence de discrimination,
soit une différence de traitement « justifiée par des éléments
objectifs », comme la correspondance au signalement d’un suspect
recherché. Il revient in fine au juge de trancher, en fonction de la situation.
La condamnation de l’Etat est confirmée pour l’instant dans
trois des cinq cas retenus par la cour d’appel. Les deux autres condamnations
seront rejugées. Dans un cas, le dossier a été cassé pour vice de forme, mais
son caractère discriminatoire devrait être confirmé sans difficulté en appel.
Pour l’autre, le juge aura à procéder à un nouvel examen des « éléments
objectifs », pour déterminer si le contrôle était effectivement
discriminatoire.
Communiqué de la Cour :
III/ LES REACTIONS
Le Défenseur des
droits
Salue l’avancée du droit en faveur de la protection des
citoyens contre les discriminations lors des contrôles d’identité
Jacques Toubon, qui avait soutenu la procédure en appel et
en cassation, la décision de la Cour est “une avancée majeure pour la
garantie des droits des citoyens”.
SOS Racisme
Se félicite de la
décision de la Cour de cassation
« La confirmation
de la condamnation de l’Etat doit entraîner de la part du Gouvernement une
réaction positive via la mise en place du ticket de contrôle que nous réclamons
depuis plusieurs années. Il ne serait pas admissible, face à une pratique
reconnue et condamnée par la justice, de laisser les choses filer. La police et
la gendarmerie – et plus largement tous les corps agissant au nom de l’Etat –
ont un devoir d’exemplarité et de justice dans leurs activités. Les populations
qui subissent ces contrôles au faciés n’ont pas à être les victimes du malaise
actuel au sein des forces de l’ordre. L’Etat doit prendre ses responsabilités,
seule attitude en mesure d’ailleurs de renouer des liens apaisés entre les
forces de l’ordre et une partie substantielle de la population, bien loin des
manipulations de l’extrême-droite dans les mouvements d’humeur en cours. »
Syndicat de la Magistrature
Contrôles au
faciès : de la légèreté coupable à la faute lourde !
Alliance Police
En colère après la condamnation de l'Etat
Stop le contrôle au
faciès
« La prochaine étape sera de veiller à l'application
effective de cette décision de justice, dans l'évolution des pratiques
policières et l'amélioration des rapports police/population ». « On a déjà fait
bouger les lignes », «ça montre qu'on peut aussi gagner face à l'Etat».
Christiane Taubira
“Je trouve très bien que des personnes qui considèrent,
et manifestement à bon droit, qu’elles ont été victimes de contrôles
injustifiés, se soient référées à la justice et au droit“, a affirmé au
Bondy Blog ce mercredi soir Christiane Taubira, l’ancienne ministre de la
Justice. Elle s’était opposée au pourvoi en cassation de l’Etat après la
décision en appel, finalement décidé par le premier ministre Manuel
Valls. J’aurais préféré l’instauration du récépissé. Je me suis battue
pour cela pendant des années, même lorsque que j’ai été Garde des Sceaux, y
compris lorsque le gouvernement avait décidé de ne pas mettre en place le
récépissé. Disons tout de même que le gouvernement avait pris certaines
dispositions puisqu’il y a eu l’instauration d’un code de déontologie. Mais je
pense pour ma part que cela ne remplace pas le récépissé. Je ne m’en suis
jamais cachée. Puisque le gouvernement ne l’avait pas fait je trouve ça
très bien que les personnes se réfèrent au droit. Nous sommes dans une
démocratie. Il faut savoir faire confiance à la justice. C’est une belle
démarche”.
Le scepticisme de
Révolution Permanente
Scepticisme.
IV/ LES IMPLICATIONS
L’Etat définitivement
condamné pour des contrôles au faciès
Une défaite
symbolique pour Manuel Valls. Après la condamnation de l’Etat par la cour
d’appel l’an passé, la décision d’un pourvoi en cassation avait donné lieu à un
arbitrage entre Manuel Valls qui y était favorable et Christiane Taubira,
la garde des Sceaux à l’époque, farouchement opposée. C’est Matignon qui
l’avait emporté. Cet arrêt inflige donc une importante défaite symbolique au
Premier ministre.
La police devra
changer ses pratiques
Permettre la traçabilité des contrôles
Pour Maitre Félix de Belloy, il s’agit désormais de faire
respecter les nouvelles règles. “La prochaine étape, c’est permettre une
meilleure traçabilité des contrôles et c’est aussi au pouvoir législatif de le
faire”.
Après la condamnation historique de l'État, exigeons
le récépissé des contrôles au faciès disent les lanceurs d'une pétition : Quoi
(hashtag) ma gueule.
Saisir la Cour européenne des droits de
l’homme
Plaignants et avocats évoquent déjà la possibilité de saisir
la Cour européenne des droits de l’homme.
V/ LA DECISION DU 9 NOVEMBRE EN 5
ARTICLES
La décision du 9 novembre a été largement relayée
dans les médias français, y compris dans des médias moins impliqués sur ces
questions (ex : Paris Match, Konbini), et dans les médias internationaux
(El Pays). L’étude d’OSJI a une nouvelle fois servi de référence. On remarque
également la présence médiatique toujours aussi forte de Stop le contrôle au
faciès.
9/11/2016
L’article de Libération
09/11/2016
L’article du Monde
14/11/2016
L’Humanité réexamine
la procédure des contrôles d’identité
16/11/2016
Contrôle au faciès,
symptôme de la crise identitaire ?
19/11/2016
La policía francesa te pedirá papeles si eres árabe y
negro
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire